Fake news, influence des réseaux sociaux, IA, montée des discours complotistes… Nos enfants et ados traversent aujourd’hui un paysage informationnel aussi riche qu’instable. Comment les aider à faire le tri, à comprendre et à questionner sans les inquiéter ?
C’est tout l’enjeu de la rencontre « Décrypter pour mieux grandir », co-organisée par l’UCPA et les Scouts et Guides de France. Chercheur·es, formateur·rices et acteur·rices de terrain y ont partagé analyses et leviers d’action pour accompagner les jeunes vers une pensée autonome, curieuse et éclairée.
Voici l’essentiel à retenir pour mieux comprendre leurs usages et surtout mieux les soutenir.
1. Comprendre comment les jeunes s’informent réellement
Avant de parler esprit critique, encore faut-il savoir comment les jeunes s'informent aujourd’hui. Les données présentées par Amélie Charruault (INJEP) dans le Baromètre DJEPVA sur la jeunesse 2024 offrent un paysage nuancé, qui rompt avec bien des idées reçues.
📌 Oui, les jeunes s’informent… et plus qu’on ne le croit
- 71 % des 15–30 ans s’informent au moins plusieurs fois par semaine.
- 37 % le font tous les jours (contre 69 % des plus de 30 ans).
- Les 25–30 ans sont les plus assidus et les plus diversifiés dans leurs pratiques.
📌 Des pratiques très marquées par les conditions sociales
« La jeunesse est une période d’apprentissage des pratiques informationnelles, façonnées par l’âge, le milieu familial, le genre ou encore le niveau de diplôme. »
- Les jeunes hommes s’informent plus souvent que les jeunes femmes (40 % contre 34 % de suivi quotidien).
- Les diplômé·es du supérieur s’informent davantage que les non-diplômé·es.
- La culture familiale de l’actualité reste l’un des déterminants majeurs des usages.
📌 Les réseaux sociaux dominent, mais ne remplacent pas les autres médias
- 53 % des jeunes s’informent d’abord via les réseaux sociaux.
- Mais les JT (37 %) et chaînes d’info (26 %) restent des repères importants.
- Chez les 15–17 ans, Instagram et TikTok sont devenus les principales portes d’entrée vers l’actualité.
📌 Un rapport ambivalent : confiance, vigilance et fatigue
- 75 % estiment que les réseaux diffusent davantage de fausses informations.
- 74 % reconnaissent le rôle démocratique essentiel des médias.
- 68 % ressentent une forme de lassitude informationnelle (surcharge, anxiété, manque de diversité).
📌 Ce qui motive les jeunes
La raison principale est claire : 64 % s’informent d’abord par curiosité, pour comprendre le monde.
Viennent ensuite : la discussion et le débat (39 %), le divertissement (37 %) et, avec l’âge, la volonté de prendre des décisions éclairées.
Ce que cela signifie pour les adultes : les jeunes ne sont ni désintéressés, ni naïfs. Ils cherchent du sens mais naviguent dans un environnement complexe et inégal selon leurs ressources sociales et familiales.
2.Comprendre son environnement informationnel
Si l’on veut que les jeunes apprennent à évaluer ce qu’ils voient, lisent ou entendent, il ne suffit pas de leur dire « méfiez-vous ! ». Il faut leur donner des repères, des outils, des situations d’expérimentation.
🧠 Revenir au cœur du problème : comprendre ce qu’est une information ?
Les ateliers du CLEMI montrent un paradoxe éclairant, les jeunes savent souvent repérer une fake news mais ont plus de mal à définir une information fiable.
D’où l’importance d’expliquer :
- comment se fabrique une information,
- le rôle du journaliste,
- ce qu’est une source,
- pourquoi certaines sont plus solides que d'autres.
Former à la méfiance généralisée n’aide pas, il faut apprendre à quoi faire confiance et pourquoi.
🧠 Naviguer dans des environnements façonnés par les algorithmes
Pour Léo Lagrange, la question n’est plus seulement : « Comment vérifier une info ? Qu’est-ce qu’une fake news ou une rumeur ? » mais aussi :« Comment s’orienter dans un monde où l’information vient à nous sans qu’on l’ait choisie ? ». Un jeune peut croire qu’il choisit ce qu’il voit, alors qu'il est souvent guidé par des algorithmes optimisés pour capter son attention.
Le choc émotionnel, la polarisation, le spectaculaire sont souvent privilégiés par les plateformes qui façonnent les perceptions bien avant que le jugement n’opère. Comprendre les algorithmes, les mécanismes d’attention, les émotions mobilisées est devenu essentiel pour ne pas subir l’environnement numérique.
3.Cultiver son esprit critique : une compétence à muscler
Comme le rappelle Elsa Grimberg de Cogito « L’esprit critique, c’est comme le vélo ou une langue étrangère : ça s’apprend. »
C’est le message transversal porté par tous les partenaires de l’événement, le CLEMI, Léo Lagrange, ENQUÊTE, les éditions Minus, les Petits Débrouillards, la Maison du Geste et de l’Image et Cogito : l'esprit critique n'est pas inné, c'est une compétence qui s'apprend, se travaille et se cultive toute la vie.
L’esprit critique dépasse le seul rapport aux médias, c’est aussi savoir raisonner, savoir débattre, identifier comment nos expériences, notre milieu social, nos croyances ou nos biais influencent notre pensée et savoir quand douter, accepter le désaccord et comprendre que certaines questions n'ont pas qu'une seule réponse.
Parents, animateurs, enseignants, éducateurs jouent tous un rôle déterminant dans l’accompagnement des jeunes qui disposent déjà, intuitivement, de fragments de pensée critique mais sans méthode, sans vocabulaire, sans transfert.
🧠 L’apprentissage par le jeu, l'échange et le débat
Les parents, comme les animateurs, sont donc des acteurs essentiels, même sans expertise pour inviter au dialogue sur des sujets de société, diversifier les sources, questionner ensemble les contenus rencontrés et montrer qu’on peut douter… sans tout rejeter, y compris sur des sujets délicats comme la laïcité. Par exemple, l’association ENQUÊTE met à disposition des animateurs des ressources comme des affiches ou des quiz.
Avec leur ton décalé et drôle, les cartes des éditions Minus sont pensées pour aborder tous les sujets et se laisser surprendre par le regard que les enfants portent sur leur environnement. L’UCPA a également développé une gamme Info / Intox pour outiller ses propres équipes d’animation sur des sujets variés comme l’éducation au consentement, le numérique ou la transition écologique. Avec les parents, cela peut se faire le temps d’un échange à table ou, tout simplement, par le prisme d’un jeu de rôle ou de société. Par exemple, le jeu des Loups-garous permet à chacun ou chacune d’incarner un personnage et de travailler sa force de conviction et son art oratoire.
🧠 L’apprentissage par la création
Tous les intervenants et intervenantes de l’événement convergent sur ce point, fabriquer une information permet de mieux la comprendre.
- Les médias scolaires : Créer un podcast, un journal ou une vidéo oblige à vérifier les faits, hiérarchiser, contextualiser et assumer une responsabilité éditoriale.
- Les pratiques artistiques : Au travers du théâtre, de la photo ou de la vidéo à la Maison du Geste et de l’Image, les jeunes apprennent, notamment, comment un cadrage peut manipuler, comment un récit peut structurer le point de vue, comment débattre et co-construire une interprétation.
Produire, c’est reprendre du pouvoir sur les images et les discours. On peut aussi proposer la création d’un reportage à la maison.
🧠 L’apprentissage par l'expérimentation
Comment savoir qu'une information est vraie ? La méthode des Petits Débrouillards est une démarche pédagogique active basée sur l’expérimentation et le questionnement scientifique qui invite les enfants à tester par eux-mêmes pour se forger une conviction. Certaines peuvent être reproduites à la maison.
De cette rencontre, une conviction forte émerge : l’esprit critique n’est pas un bouclier mais une boussole. Il se travaille à tous les âges de la vie. Il ne se limite pas à détecter le faux, il aide à comprendre, à prendre du recul et à agir dans un monde complexe.
« Apprendre à penser, ce n’est pas apprendre à avoir raison. C’est apprendre à arbitrer, à choisir en conscience. » conclut Elsa Grimberg, directrice de Cogito.
Cet apprentissage :
- commence dans la famille,
- se construit à l’école et dans les loisirs,
- se renforce dans la vie quotidienne,
- s’enrichit au contact des pairs, de la culture, du débat.
Dans un environnement où les contenus circulent plus vite que notre capacité à les analyser, accompagner les jeunes vers une pensée libre, juste et informée est un défi majeur. Mais c’est surtout une formidable opportunité : celle de les aider à mieux grandir, curieux, confiants et capables de faire leurs propres choix.
